MARTA
Fin de matinée. Une plage du littoral. Dunkerque. Un mot écrit. Un nom. Un prénom.
MARTA
Un groupe de gens. Observant. Comme attendant. Contemplant. Certains pleurant. Entre eux, ils parlent, espagnol, non.. Chilien.
Marta. Un prénom. Nom Ugarte.
Marta Lidia Ugarte Román est née à Santiago du Chili le 29 de juillet de 1934.Elle était enseignante, couturière, ancienne responsable nationale à l’éducation et membre du Comité Central du Parti Communiste du Chile.
Durant le gouvernement de Salvador Allende, elle était fonctionnaire régionale au bureau de la direction d’industrie et du commerce et de l’organisme de contrôle des prix et de défense des consommateurs dépendant du ministère de l’économie. Elle était membre de la direction clandestine du parti communiste chilien, mis hors la loi et férocement persécuté par la dictature militaire, son cruel assassinat s’inscrit dans une longue liste de militants éliminés en 1976 par les appareils répressifs de Pinochet
Au début des années 70, elle a été arrêtée dans la rue le 9 aout 1976 par des agents de la Dina et incarcérée à la villa Grimaldi, une des maisons de tortures de la police politique de Pinochet dans la zone orientale de Santiago.
Le 16 août, sa famille a présenté au tribunal un recours d’habeascorpus et a réalisé plusieurs démarches destinées à confirmer son arrestation et connaitre son lieu de détention.
Malgré l’intervention de la Croix-Rouge internationale qui s’est enquis de son sort auprès des autorités de l’époque, son arrestation a été démentie et le président de la cour de justice a affirmé qu’elle n’était pas détenue par la Dina.
Le 12 septembre 1976, la presse de Santiago annonçait la découverte du cadavre d’une inconnue trouve par un pécheur, à l’intérieur d’un sac attaché avec des fils de fer, sur la plage de La Ballena. Les journaux de la chaine El Mercurio, fervente adepte de la dictature, ont évoqué d’emblée la thèse d’un sordide crime passionnel, en laissant planer des doutes sur la moralité de la «jeune et très belle» victime. Il s’est avéré par la suite qu’une opération de désinformation à la charge des journalistes Beatriz Undurraga et Pablo Honorato, s’était déployée autour de cet assassinat, comme ce fut le cas dans d’autres occasions pour détourner l’attention de l’opinion publique et couvrir les vrais criminels.
La longue enquête a établi que sous les ordres directs des deux officiers récemment accusés, les agents de la Dina ont donné la mort à Marta Ugarte après des jours d’atroces supplices dans des locaux secrets de la police politique. Elle a finalement été empoisonnée par injection dans un gymnase du camp militaire Peldehue et son corps, avec celui d’autres détenus qui ont subi le même destin, a ensuite été lancé lesté d’un bout de rail depuis un hélicoptère Puma à la mer.
Un ex-agent de la Dina a avoué que lorsqu’ils s’apprêtaient à charger plusieurs sacs de cadavres de victimes dans un hélicoptère Puma, le corps de Marta Ugarte s’est mis à bouger.
Elle avait survécu à l’injection létale. L’agent a alors coupé l’un des fils de fer qui fixaient le morceau de rail au corps meurtri de la dirigeante communiste pour l’étrangler avec.
Son corps a été lancé a la mer, mais la ligature s’étant défaite, le rail s’est détaché et la mer a ramené le cadavre vers le rivage.
Entre 1974 et 1978, les pilotes et les mécaniciens des commandos de l’aviation légère de l’armée de terre ont effectué au moins 40 vols en hélicoptère Puma. Chaque fois, ils embarquaient de 8 à 15 sacs de jute, qui contenaient des cadavres de détenus, et les précipitaient dans l’océan. Entre 400 et 500 corps ont ainsi disparu.
Parmi tous les cadavres balancés depuis les hélicoptères, seul celui de cette dirigeante communiste Marta Ugarte était remonté des profondeurs de l’océan. Echoué en septembre 1976 sur la plage de La Ballena, près du petit port de Los Molles, dans la région de Valparaíso, il représente la seule faille du système d’extermination et va permettre aujourd’hui de faire payer les auteurs de ces crimes. L’homme qui s’est rendu “coupable” d’avoir mal attaché le poids qui devait empêcher le cadavre de Marta Ugarte de remonter à la surface est connu des enquêteurs : il a lui-même avoué.
C’est de la Villa Grimaldi que sont sortis la plupart des corps qui ont été jetés à la mer. L’opération “Puerto Montt” (d’après le nom de code utilisé dans les fichiers de la DINA pour désigner ceux qui seraient exécutés et précipités dans l’océan) suivait toujours le même schéma. Avant chaque vol, les mécaniciens recevaient l’ordre du chef des commandos, par l’intermédiaire du responsable de la flottille d’appareils, d’enlever les 18 ou 20 sièges du Puma désigné ainsi que le réservoir de carburant supplémentaire, ramenant ainsi l’autonomie de vol de l’hélicoptère à deux heures et demie. Tous les vols étaient enregistrés. Les hélicoptères décollaient toujours de l’aérodrome de Tobalaba, dans la municipalité de La Reina, banlieue est de Santiago, qui a servi de base aux commandos de l’aviation légère de l’armée de terre pendant toutes ces années. L’équipage était formé d’un pilote, d’un copilote et d’un mécanicien.
La méthode a été employée jusqu’en 1981-1982
La première étape était le camp militaire de Peldehue, près de Colina, où les hélicoptères étaient attendus habituellement par deux ou trois camionnettes, des Chevrolet C-10 presque invariablement de couleur blanche et dont l’arrière était recouvert d’une bâche. Deux ou trois agents en civil enlevaient cette bâche, qui cachait les cadavres entassés, et les chargeaient dans l’hélicoptère. Puis ils montaient à bord et le Puma redécollait, prenant en général la direction de la côte de la région puis celle de la haute mer à la hauteur de Quintero, de San Antonio ou de Santo Domingo. Une fois leur mission accomplie, les hélicoptères retournaient à Peldehue ; les agents en civil quittaient l’appareil, montaient dans leurs véhicules et s’en allaient. La Nación préfère ne pas révéler l’identité des mécaniciens qui ont relaté ces sombres épisodes au juge. Le fils de l’un d’entre eux a été séquestré pendant quelques heures le 7 novembre, le jour même où le juge Guzmán mettait en examen cinq anciens pilotes dans l’affaire Marta Ugarte, ainsi que le général Contreras et López Tapia. Deux individus l’ont fait monter de force dans une voiture, l’ont attaché, lui ont mis une cagoule sur la tête et l’ont roué de coups en lui ordonnant de dire à son père de “fermer sa gueule”. Puis ils l’ont abandonné dans une rue de Santiago.
La méthode consistant à se débarrasser des corps dans l’océan a été employée de nouveau après 1978 et au moins jusqu’à la période 1981-1982, lorsque Pinochet et l’armée de terre se sont sentis menacés par la découverte -fin 1978- de quinze cadavres de paysans dans les fours à chaux de Lonquén. L’existence de cette deuxième phase, connue sous le nom d‘ “excavations” clandestines, a été reconnue par l’ancien chef du Centre national du renseignement (CNI), le général Odlanier Mena,et par certains de ses ex-agents.
Ainsi, les corps, entre autres, de prisonniers de Chihuío, de fonctionnaires de La Moneda, enterrés à Peldehue et des 26 victimes de la “Caravane de la mort”, enterrées clandestinement dans le désert d’Atacama, près de Calama, ont été exhumés, puis jetés à la mer.
Ce jour-là, grand vent. La marée monte. Les chiliens réunis pour la commémoration ont les yeux brillants. Eau salée. De dedans.
Derrière le mot, des corps sur des planches, tirés par le vent, profitent du tirant.