Niveau Zéro Etc.

Le Niveau Zéro de l’écriture est un lieu de recherche autour de l’écriture, matérialisée, grandeur nature. Lettre par lettre, posées sur le paysage.
Des lettres indépendantes de tout support, papier, mur ou autres, libres individuellement: le support n’est pas là pour fixer. Figer. Liant définitivement les lettres en un ordre précis. Un texte. Les écrits ici ne restent pas, pas dans leur réalité, par contre des traces. Ce qui fut écrit cependant génère une trace. Mais une trace, uniquement.
L’important est l’action d’écrire. La pensée agissante.
À un moment « t », à un endroit « x ».  

Le texte est directement composé dans/sur le monde (ce « dans/sur » nous le verrons est une donnée de recherche importante au projet, le lieu d’une expérimentation ontologique… ).

Plusieurs projets découlent du Niveau Zéro de l’Écriture, outils dérivés.
Diction Directe: lettres sont portées, en ville, la nuit, les porteurs cagoulés.
Lettercamp: l’alliance avec les lettres de glace du projet chilien Escalofrio.
Letter Boxes: un dispositif atelier, de mise à disposition du médium d’écriture sur payage. Certaines performances ouvrent sur un projet propre « poésie/poesìa »…

Le Niveau Zéro est un médium, exploré par dimitri vazemsky depuis une vingtaine d’années, un chemin, suivi, tentant de se cerner ici… à postériori. Construit sur l’expérience. Cette expérience étrange de manipuler des lettres pour s’exprimer. De donner matière, littéralement, à ce qui n’en a habituellement pas.

Ci dessous un bref historique daté, tentative de synthèse retrouvée:

Le paysage et l’écrit.
Le premier mot –EXIT– fut écrit sur la plage de Zuydcotte -ce siècle avait quatre ans- lançant physiquement le projet du Niveau Zéro de l’Écriture.
Les premiers croquis, en Irlande, remontent au début des années 1990.
Ce projet personnel est la continuité d’un parcours d’écrivain et d’une enfance passée en flandres francophones, plat pays où l’horizon ressemble à un encéphalogramme plat, silencieux, mais où pourtant le paysage murmure plein d’histoires. Cachées, sanglantes, guerrières, zone rouge, la campagne fut une immense zone de tranchées argileuses, bombardées, moutardées, où défilait la chair à canon, australienne, allemande, portuguaise, française, indienne…

Le silence du paysage. Ou presque silence…
Une page blanche. A priori. Qu’y écrire?
Comment rendre ce silence? Comment trouver un langage qui ne brise pas le silence, quête mallarméene, contextuelle: parvenir à ce que les mots entrent en résonance avec le lieu. Dialogue.
Verbal, non verbal. Seuil.

Ne pas communiquer. S’inscrire en grosses lettres rouges, non. La publicité s’en charge déjà. Indifférente au contexte. Enjeu politique, question de colonisation.
Interroger la question de l’expression dans l’espace public, l’empire du signe. Chercher l’humble résonance. « …a special chord… »?
L’accord.

Le parcours d’écrivain traditionnel ( romans, autofictions, poésie…) se couple rapidement à celui d’artiste-éditeur avec la naissance de la maison d’édition la nuit myrtide (www.nuitmyrtide.com).
Se repose la question du texte, de sa présence sur la page, dans sa spatialité typographique. Dans l’espace de la page.
Un pas restait à faire…
Passer de la mise en page ( papier) – à l’angoisse de la… plage, blanche.

Pa(ysa)ge.

L’idée du Niveau Zéro de l’Écriture (clin d’oeil à Barthes en pasant ) est d’explorer une « forme de l’écriture », d’un nouveau genre, pointé dans le Dégré Zéro de l’Écriture de Barthes. À ce sujet il faut relire les premières pages du Dégré Zéro avec l’oeil rivé sur les métaphores naturelles associées au langage.
L’idée initiale du projet -à l’origine- était intimement liée à l’altitude zéro, niveau de la mer, la norme du neutre, du point zéro, écrire à la lisière des vagues, du vague: le seul endroit à mes yeux où le langage puise sa force, celle de l’outil ( notre fonds, legs ) travaillant, sculptant, modelant, grattant, dessinant, formalisant, enlevant, rajoutant, étalant, caressant, balayant, réduisant, augmentant, mais travaillant l’informe. Poïesis.

Se tenir là. Tenir droit. Entre le par-trop-connu, pré-formé, rassurant, prêt à l’emploi, déjà cartographié (terra cognita) et les flots, mouvants, l’océan, la vague, changeante, écumante. L’informé. Houle. L’à venir non encore saisi. Touché. Effleuré. Appréhendé. Presque.
Ce qui n’est pas encore moi.
Autre.

Le projet d’écrire une phrase de 400m de long sur une plage du dunkerquois, en septembre 2013, fut porté, envisagé, tenté.
Et balayée par les éléments -non de linguistique générale- mais météorologiques. Le début d’un bégaiement. Presque plus intéressant à mes yeux que la réalisation d’un projet planifié et réalisé, malgré tout.
Un soliloque. Une humilité.
Là, le paysage jouait de son droit de réponse.
Conversation poursuivie.

Le projet Niveau Zéro de l’Écriture prit à ce moment-là une nouvelle dimension. Possédant désormais une casse typographique conséquente de 400 lettres, le projet bascule.
Passage de l’écriture à… l’édition.
Imprimer le monde devient possible.

Les premières lettres, imparfaites, dessinées à main levée directement sur le bois, à la craie, conservait un vrai geste d’écriture: chaque lettre portant la maladresse, d’un tracé à main levée, style propre, graphologique, avant d’être découpées à la scie. Chaque lettre était différente l’une de l’autre.
À l’image de l’écrit.
À la main.

Désormais, certaines voyelles, découpées numériquement selon un fichier unique, étaient toutes de facture identique, clonées, répliquées, sans forme changée. Changement important de paradigme scriptural.
Passage de l’écriture – manuscrite – au clavier.

La casse complète de 400 lettres étant disponible, prête à l’emploi, je pouvais désormais écrire n’importe quel texte sur le paysage.
Mettre également à disposition le dispositif.
Devenant ainsi imprimeur sur paysage.
Le premier ?

Les premières tentatives -incunables- furent consignées en partie dans ce blog, daté, générique, autour du projet. Une page reprend l’intégralité des mots inscrits dans le paysage, installés.

Plusieurs déclinaisons du Niveau Zéro de l’Écriture furent entreprises: écritures plus urbaines avec Diction Directe ( Moulins/ Berlin), jouant avec le “s’exposer”, politiquement, poser hors de soi, de l’intime, se dire, se représenter selon les codes communs ou non: les interventions gravitaient autour d’un atelier clandestin de typographe urbain installé, des rendez-vous étaient donnés, les personnes arrivaient, habillées de noir comme convenu: on fournissait lettres rouges et noires cagoules.
Les lettres, portées, sur l’épaule, quittaient l’atelier, un mot en tête, un lieu, un parcours, en ville, la nuit. Écriture & Action.
Et surtout, une tentative -réelle- d’écriture collective. Non pas l’habituel ping-pong d’un quatre mains, plus proche d’une écriture par intermittence: là, l’écriture est collective dans l’instant.

Déclinaisons aussi en performances ponctuelles:
• Vallée d’Aspe, Pyrénées, pour une opération de traduction, un mot, cinq jours, “poésie/poesìa”.
• Sierra de Guara (Espagne), un paquet de lettres amenées en pleine nature, à l’épreuve des courants, naturels et de pensée, le tout redescendant, flottant, canyoning lettré. Comme pour poésie/poesìa on interroge un champ sémantique entre exposition/expédition-édition.

En 2013, le projet Lettercamp réunit plusieurs projets autour de l’écriture sur paysage, leNiveau Zéro de l’Écriture et le collectif chilien Escalofrio (lettres en glace) pour une année d’étude autour de l’écrit dans le paysage. Une année d’interventions libres sur le littoral dunkerquois.

Mais aussi ailleurs, entame d’un autre projet:
• NOUS/ICI ( un camion frigorifique roule et congèle les lettres qui serviront à écrire à l’arrivée NOUS/ICI, dans la langue du pays ( WIER/HIER ( Berlin) MY/TADY (Brno, CZ) MY/TO (Wroclaw, Pl), WE/HERE ( Dunkirk, Engl.) NOUS/ICI ( Jungle de Tétéghem, Fr.).

En 2016 le projet installe ses bureaux en Belgique, à Péruwelz, Ville du Mot, pour un nouvel épisode “Imprimer le Monde”.
Un EROA dans un collège de la métropole lilloise voit la naissance de LetterBox, une boite à lettres prêtes à l’emploi. À disposition.
Le dispositif autonome se met en place, il poursuivra son existence dans des projets de recherche associant Arts et Sciences ( Drac ARA, CNRS, PNR ).

Le projet originel d’écriture, personnelle, mué en dispositifs, ateliers, rencontres. Les envies personnelles se peaufine, dans des installations plus importantes et complexes où le Niveau Zéro est un élément d’intervention mais jamais le seul et unique:
« O », autour de William Shakespeare et le théâtre élisabethain du Château d’Hardelot.
• « Que dit la bouche d’ombre » (Veyre Monton Auvergne ) ).

En 2017, une première rétrospective du projet fut visible à la Maison Folie de Wazemmes, dans le cadre de l’exposition OBJETS/MOTS – LIVRES/LETTRES.

2018. Un projet d’écriture avec le collectif chilien Escalofrio et les lettres de glace devait être tenté en Antarctique sur la base chilienne Arturo Prat. Reporté…

2019. « Dire le traversé », un projet de recherche Art/Science mené avec les Parcs Naturels et la Drac Ethnologie ARA initie dans le dispositif artistique un programme de recherche autour des liens Art/Science, liant principalement le projet à des questions anthropologiques, sémiologiques ou même biologiques (neurophysiologie du langage).